Travailler moins pour travailler mieux ? Le présentéisme… un mal français ?
La semaine, grâce à La Maison du Management et Ségolene Delahalle, l’une de ses dirigeantes), la première édition des apéros du management ont eu lieu. Non non, il ne s’agit pas de picoler pour se remettre d’une journée de dur labeur (enfin, pas que), mais de réfléchir en tout petit groupe sur une problématique donnée. Et pour cette première, nous avons parlé du présentéisme ; vous savez, cette horrible tendance que nous pouvons avoir à rester tard au travail non pas parce que nous avons du travail mais parce que cela montre sans aucun doute possible notre implication dans notre travail.
Le premier constat est que nous, les français, sommes une exception européenne. Personne ne sait à quelle heure vous arrivez au travail mais, par contre, si par malheur un jour vous devez partir à 17.00, vous entendrez cette célèbre phrase « ben.. tu prends ton après-midi ? », bien loin d’un système suédois où la règle des 3*8 s’applique : 8 heures pour le travail, 8 heures pour la vie personnelle et 8 heures de sommeil. Il faut dire qu’en moyenne, tout du moins en région parisienne, nous arrivons plus tard au travail que chez nos voisins, prenons une pause déjeuner plus grande et, chose très inquiétante, sommes numéros deux européens du désengament. Selon une étude gallup, 6% des salariés sondés en février-mars 2018 s'affirment engagés au travail, c'est-à-dire très impliqués à la tâche et enthousiasmés par leurs missions professionnelles, selon la définition de Gallup. Pire, un Français sur cinq s'estime franchement désengagé. Alors vous allez me dire, quel rapport avec le présentéisme ? Et bien, en moyenne, un salarié français va passer une heure par jour, au travail, sur ses réseaux sociaux personnels au lieu de travailler ! Imaginez votre quotidien si vous pouviez partir chaque jour 1 heure plus tôt !
Mais alors, d’où vient ce satané présentéisme à la française ? Des sociologues l’expliquent par la création du statut cadre en 1947. A l'époque, la revendication d'un « statut de cadre » évoquait l'idée d'un « plus » au plan de la loi, une définition de ce que c'est qu'un cadre. Une sorte de garantie supplémentaire. Mais la conséquence pour ces personnes qui devenaient soudain cadre sans pour autant changer de métier ou de mission a été qu’il a fallu montrer à ses collègues qu’elles méritaient ce nouveau statut… et comme ce n’était pas dans la mission, qui restait la même, elles ont commencé à rester plus tard : je suis cadre, je suis plus important que toi et la preuve, c’est que je reste plus tard que toi au travail ! D’ailleurs, la notion de « contrat au forfait sans contrainte horaire porte en soi tous les travers du présentéisme.
"Travailler pour gagner sa vie, OK.
Mais pourquoi faut-il que cette vie qu'on gagne,
il faille la gaspiller à travailler pour gagner sa vie?" Quino
Il n'existe pas, par exemple, de définition légale de la notion de cadre en Belgique. Les relations de travail sont porteuses de règles propres aux employés mais non de dispositions spécifiques aux cadres, lesquels sont considérés comme une catégorie d'employés.
Au-delà de cet aspect « juridique », ce qui est ressorti clairement de nos discussions est que le fait de ne pas fonctionner en mode « projet » pousse au présentéisme. Au lieu de se fixer en début de chaque journée des objectifs clairs, nous ajoutons au fil de la journée de nouvelles taches. Si chaque jour nous nous fixions des objectifs, cohérents avec ceux de l’entreprise, une fois ceux-ci atteints, si c’est à 16.00, quel serait le problème de partir plus tôt ? D’ailleurs, des entreprises comme Google ont ce mode de fonctionnement permettant un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
Enfin, une distinction passionnante a été faite entre le présentéisme qui nous est imposé et celui que nous nous imposons, tout seuls comme des grands ! Le présentéisme n’est pas que le fait des entreprises mais également de nous-même qui, par exemple considérons que ce n’est pas acceptable, en tant que manager par exemple, de partir avant que toute son équipe soit partie. Et je ne parle pas du présentéisme numérique (autre concept intéressant évoqué lors de notre réunion) que nous nous imposons bien souvent pour prouver que nous sommes hyper impliqués ! Face à ce dernier, j’aime donner deux exemples de traitement :
*Volkswagen ou Puma qui, dans leur siège social allemand, coupent les serveurs mails à 17.45
* BMW qui demande à ses salariés de comptabiliser le temps passé en dehors des heures de travail à travailler sur ses mails par exemple et à l’intégrer dans son compte épargne temps
Non seulement passons nous trop de temps au travail, physiquement mais le présentéisme numérique fait que nous n’avons quasiment plus jamais de journées entières sans penser au travail. Sachant cela, est-ce si étonnant que cela si nous sommes champions d’Europe du burn-out ? Nous en sommes à plus de 10% de la population active qui a ou va faire un burn-out.
La problématique du présentéisme va bien au-delà d’une question de bien-être individuel mais concerne également la productivité, la créativité et l’engagement de toutes et de tous dans les entreprises. Paradoxalement, si nous sommes les champions du présentéisme, nous sommes également les champions d’Europe de l’absentéisme avec 10,1 jours par an dans le privé et 17,8 jours dans le public (source Institut sapiens) pour un cout annuel de 108 milliards, l’équivalent du budget de l’éducation nationale. Et, de vous à moi, si nous avons ce record, ce n’est pas parce que nous sommes plus sensibles au virus de la grippe mais sans aucun doute à l’organisation de nos entreprises et à la qualité de notre management. En effet, moins d’un tiers de ces absences ne sont pas directement liées au travail.
Et si la solution à tout cela n’était pas de travailler moins chaque jour pour, au final, travailler mieux ?
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