Le droit à l’erreur, le nouveau graal du management ?
Avant la pandémie, je parlais déjà du droit à l’erreur, que ce soit pendant mes conférences, mes livres ou mes articles. Je racontais ces anecdotes de l’invention du Post-It, du four à micro-onde, de l’imprimante jet d’encre, de la découverte des Amériques ou du Viagra, toutes ces choses découvertes par erreur ou par hasard. Bien entendu, ces anecdotes faisaient souvent rire, mais elles pointaient du doigt une réalité : sans droit à l’erreur, pas de créativité.
Puis la pandémie est arrivée, et là, ce n’était plus la même blague : en un claquement de doigt, quasiment du jour au lendemain, l’ensemble de nos entreprises devaient se transformer, radicalement. Il suffit de parler deux minutes avec un dirigeant ou un DRH pour comprendre la violence du choc.
En quelques jours, il a fallu inventer, créer, s’adapter à cette nouvelle réalité. Et il ne s’agissait pas d’imaginer des demi-mesures puisque la pandémie, elle, ne donnait pas dans le détail. Et qui dit créativité dit erreur. Sauf que là, la situation n’était pas la même.
1- Une situation globale
Quand il s’agit de parler de transformation au sein d’une entreprise, généralement, celle-ci se fait à petits pas, prudemment. Rares sont les entreprises qui décident du jour au lendemain de changer de mode d’organisation du travail globalement ou de modèle économique pour pouvoir survivre.
Avec la pandémie aucune entreprise n’a eu d’autre choix que de changer. Oui, en fonction des entreprises, les changements étaient plus ou moins importants, mais nous étions toutes et tous dans le même bateau. Une fois la sidération passée, il a bien fallu agir, tout le monde en a pris conscience quasiment du jour au lendemain au moment du premier confinement.
Sans dire qu’une situation est moins désagréable si tout le monde vit la même chose, elle développe une certaine solidarité. Nous avons échangé, parlé, partagé nos expériences… et nos erreurs.
Le monde de l’entreprise est devenu très rapidement un monde beaucoup, beaucoup plus solidaire car là, il ne s’agissait pas simplement de croissance ou de transformation, mais de survie, parfois de façon littérale. Si vous regardez en arrière dans l’histoire, c’est souvent dans les crises majeures que le meilleur de l’humanité se révèle. Oui, les esprits chagrins diront que les crises majeures révèlent également le pire de l’humanité… c’est vrai, mais bientôt deux ans après le début de la pandémie, un premier bilan peut être fait, et il est plutôt positif.
2- Une tolérance accrue
Quand tout le monde est en train de se noyer, on accepte mieux celui ou celle qui nage de façon ridicule ; quand la question posée est la survie, le niveau d’exigence est plus bas. Pour être plus exact, en situation désespérée, les esprits s’ouvrent aux nouvelles solutions. Essayer plutôt que de couler.
Le meilleur exemple étant bien entendu le télétravail. Avant la pandémie, environ 16% des entreprises avaient des accords de télétravail. Du jour au lendemain, nous sommes pour beaucoup passés en 100% télétravail, pas le choix. Pour les autres, c’était chômage partiel avec la nécessité de trouver de nouveaux modèles économiques. Moi, par exemple, je ne faisais absolument jamais de conférences en distanciel et j’ai monté en quelques jours un studio TV dans mon bureau. Plus de 200 conférences plus tard, je n’aurais clairement pas tenu sans changement.
Mais le niveau d’autonomie des salariés n’était pas toujours optimum, les managers n’étaient pas forcément formés au management à distance, les systèmes informatiques n’étaient pas nécessairement prêts pour encaisser la charge. Mais une fois lancés dans le grand bain, pas le choix, il a bien fallu nager… et faire des erreurs, beaucoup d’erreurs.
Je pense à ce manager qui pensait avoir trouvé une idée géniale pendant le premier confinement en demandant à tous les membres de son équipe de se connecter en visio à 8.30 non-stop jusqu’à 18.30, y compris pendant les pauses déjeuner, pour faire « comme au bureau ». Cela semble ridicule aujourd’hui, bien sûr… mais il a fallu faire cette erreur pour s’apercevoir que s’en était une.
Au regard de la gravité de la situation que nous avons toutes et tous vécu, les applaudissements de 20.00, l’angoisse générée vis-à-vis de notre bien le plus précieux, notre santé, notre travail semblait subitement bien dérisoire, et les erreurs que nous pouvions faire pour le garder finalement totalement acceptable.
Nous étions dans l’inconnu et toute action, toute idée dont l’objectif était de s’en sortir était acceptée, quitte à se tromper : il fallait bien s’en sortir.
3- Des résultats concrets
Quelle leçon que cette période. QUELLE LEÇON ! Exception faite de certaines activité touristiques et évènementielles, nous nous en sommes sortis, et de belle manière en plus.
Peu d’articles parlent de l’incroyable réussite de nos services publics grâce à cette même transformation. Et oui, que ce soit la Sécurité Sociale, Pole Emploi, nos impôts, nos transports publics eux aussi ont dû s’adapter en quelques jours… et y sont arrivés !
Mais, mieux, celles et ceux qui pensaient que nous reviendront au monde d’avant en sont pour leur compte. Nous avons créé un nouveau monde du travail, avec plus de télétravail, avec une place plus juste accordée à notre vie professionnelle. Et pourquoi ? Parce que nous avons été créatif. Ce n’est pas que nous n’avons pas eu peur de changer, nous n’avions tout simplement pas le choix.
Combien d’entreprises ont constaté des performances supérieures de la part de leurs dans cette période, ou tout au moins équivalente ? On nous prévoyait l’explosion du chômage, il n’en est rien, l’Armageddon des faillites au moment de la fin du « quoi qu’il en coute »… il semblerait bien que celui-ci soit passé à côté de la France.
4- Des erreurs assumées
Forcément, il est plus facile d’accepter les erreurs quand au final, tout se finit bien. Cela étant dit, j’entends beaucoup de dirigeants me dire qu’ils souhaitent conserver cet état d’esprit découvert pendant la pandémie : créativité, réactivité, adaptabilité… autant de mots qui sont devenu une réalité dans des structures qui pouvaient quelque peu sommeiller, se reposer sur leurs lauriers.
Car oui, beaucoup d’erreurs ont été faites du fait qu’en cas d’urgence, beaucoup plus d’autonomie est donnée à toutes et à tous et que quand on est dans l’inconnu, il ne peut plus y avoir de certitudes, de plan sûr à 100%. Tout le monde, quel que soit le niveau hiérarchique, a participé pour passer cette période difficile.
Depuis que je travaille, je crois ne jamais avoir entendu autant de fierté de la part des salariés. Fierté d’avoir aidé son entreprise à s’en sortir, fierté d’avoir individuellement traversé cette période, fierté d’avoir apporté sa pierre à l’édifice, aussi petite cette pierre soit elle.
CONCLUSION
Toute la question est de savoir : que garderons nous de cela ? Certes, la pandémie n’est pas finie, mais il semblerait bien que le pire soit derrière nous et que, maintenant, nous devons définir les règles de ce que sera ce monde d’après dont on nous parle depuis des mois.
Retour en arrière ? Je le vois dans quelques entreprises, surtout des PME pour être franc. Et je commence à constater chez ces entreprises une défection des talents qui ont bien compris que le monde avait changé, en leur avantage… et que, oui, l’herbe est plus verte dans les entreprises qui ne se sont pas transformées que pour passer la pandémie.
Évolution ? Il semblerait bien que l’écrasante majorité des entreprises sont en train d’essayer de garder le meilleur des changements effectués pendant la pandémie : télétravail, mais surtout, une grande libération de la parole et une implication beaucoup plus forte des managers de proximités qui ont vu leur rôle grandir en importance pendant la crise ; de « simple » gestionnaires, ils sont devenus la clé de voute des entreprises.
Je croise de plus en plus de dirigeants qui me disent vouloir conserver cet esprit créatif découvert pendant la pandémie et qui sont prêts à assumer des erreurs comme ils l’ont fait pendant plus d’un an. Reste à espérer que les vieux réflexes ne reviendront pas.
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